12.12.04

Serge Dassault

La prise de contrôle du Figaro avait donné lieu à des analyses un petit peu inquiètes, mais souvent vaguement condescendantes, sur le thème "Fiston Serge voudrait un journal pour faire comme papa avec Jours de France". Pourtant le personnage a toujours été clair. A propos de la tentative ratée sur l'Express :
"Je ne voulais pas intervenir tous les jours [dans la rédaction], mais je souhaite faire peut-être un jour un journal libéral. "

(LCI, 1997)

Alors évidemment, avec les sorties récentes de l'intéressé, on en revient :
"Un journal « permet de faire passer un certain nombre d’idées saines »qui font que ça marche. Par exemple, les idées de gauches sont des idées pas saines. [..] La presse peut rendre compte, mais elle peut dire aussi : halte là on va dans l’erreur ; Ce n’est pas ça qui marche"

(France Inter, 12/2004)

Le fond n'a rien en soi d'innovant: le rouleau-compresseur Murdoch ne date pas d'hier, avec cette volonté de pousser ou créer des médias proches des grands groupes financiers, d'avoir un discours totalement orienté néo-conservateurs, cf. FoxNews. Et en France, il a fallu le faux-pas de Le Lay pour entendre des réactions outragées à une situation en place depuis plus d'une dizaine d'années. Non, ce qui est spécifique à Dassault/Figaro, c'est de voir le donneur d'ordre assumer complètement sa politique, la revendiquer publiquement, et en clarifier les bases idéologiques, les rouages, et les buts.

Peut-être est-ce une volonté de retour à la presse d'opinion, celle des années 1930 et de la collusion avec les centres économiques de l'époque, comme les liens du "Temps" et le Comité des Forges et autres groupes. Une volonté de rebâtir un "Mur de l'Argent" comme celui qui fit la peau au Cartel des Gauches et au Front Populaire. La situation est évidemment différente, la reprise en main du Figaro est une prise de contrôle d'origine financière, et une pression qui viendra de la direction. La presse aux ordres de l'entre-deux-guerres était profondément corrompue, jusqu'aux journalistes. Au Figaro, la rédaction a eu une réaction immédiate de méfiance.

Je ne suis pas certain que la réponse la plus adaptée soit celle du PS, qui convoque les mânes du totalitarisme et des idées lepénistes. Le discours de Dassault n'est finalement guère différent d'une aile libérale et agressive de l'UMP (Devidjian, Raoult, Sarkozy, Copé, ..), il a le mérite d'être parfaitement explicite. Une réponse en biais, qui n'attaque pas le discours sur le fond (ultra-libéralisme, presse vassale).

Par contre, il ne m'étonnerait guère qu'une partie de la réplique à Dassault vienne de la droite elle-même. Un tel pouvoir dans les mains d'une seule mouvance, de façon aussi lisibles est de nature à effrayer les gaullistes tendance historique, démocrates chrétiens, ou même, par contre-coups, d'autres représentants de l'aile industrielle, inquiets d'un tel changement d'équilibre. Il sera intéressant de surveiller les collègues de Dassault au MEDEF, Seillères en tête, pour voir s'il vont profiter de cette tribune encore plus largement ouverte, ou se méfier d'un contre-coup.

La question restante serait de savoir pourquoi Dassault a adopté une stratégie médiatique aussi périlleuse. Enivrement passager après la réussite de son coup et son entrée au Sénat ? Totale naïveté du personnage ? Son discours voulu comme de bon sens ferait pencher pour cette hypothèse, qui est sans doute la plus confortable. Ou bien est-ce plutôt l'hypothèse faite très cyniquement qu'après quelques remous initiaux, la réaction a ce genre de propos n'ira pas loin et laissera un terrain vide. Je penche plutôt pour cela.