15.3.05

Bruit

[...] En musique, le bruit est la signature de l'imprévisibilité, de l'extériorité, de ce qu'on ne peut contrôler. Les instruments les plus "purs" (techniquement, "les moins bruyants") sont également ceux qu'on emploie traditionnellement pour évoquer des sentiments d'innocence, de calme, de rêverie et ainsi de suite. Pensez à la flûte impuissante, au castrat littéralement émasculé. Puis pensez à ceux qu'on utilise toujours pour susciter l'idée que quelque-chose-va-arriver, que quelque-chose-va-entrer-de-l'extérieur - les tambours, les cymbales, les gongs, et les hautes fréquences miroitantes des cordes.

Une histoire de la musique retracerait l'évolution et le triomphe du bruit sur la pureté en musique. La Renaissance recherchait des tons clairs, purs, des voix cohérentes qu'on pouvait empiler. Depuis lors, tout s'est passé en dehors, chaque compositeur après l'autre cherchant des timbres toujours plus âpres et compliqués. A dire vrai, si on mesure le caractère bruyant de l'instrumentation sur une échelle de 100, la palette classique s'arrêterait à 50 environ, mais celle du rock ne commencerait pas avant 30 (et irait ensuite tout droit jusqu'à 90 environ - chiffre qui monte constamment).

Distorsion et complexité sont les sources du bruit. Le rock est construit sur la première: sur l'idée que les choses sont enrichies, et non appauvries, par le bruit. Permettre à quelque chose d'être bruyant, c'est lui permettre de supporter des lectures multiples. C'est une façon de multiplier les résonances.

C'est aussi une façon de "faire échouer le médium" - donnant ainsi l'impression que vous faites exploser le matériau - "je suis trop grand pour lui"

Brian Eno, Journal: Une année aux appendices gonflés - 8/9