20.3.05

Quelques notes a propos d'une discussion sur Immortel

Intéressante conversation entre Enki Bilal et Serge Lehman sur les 'bonus' d'Immortel. Bon exemple d'anti-featurette hollywoodienne d'ailleurs: 40 minutes de discussion ouverte qui finit par un 'on va fumer une clope ?'.

Remarque de Serge Lehman sur le terme de "science-fiction", de moins en moins adapté. Il me semble que c'est Goran Vejvoda qui parle plus loin de "superfiction". L'idée est intéressante, mais un peu lourde. Pourquoi pas "surfiction" ?

Autre remarque intéressante de Bilal et Lehman sur la S-F comme lieu principal au XXème siècle de travail sur la métaphysique. La distinction par rapport aux approches classiques ayant plus à voir avec la façon de manier la métaphore, de l'incarner dans des situations 'concrètes' dans le cas de la S-F. Cela m'a immanquablement penser à ce que dit Cronenberg "I have to make the word be flesh". Cronenberg est un autre bon exemple d'auteur que l'on range dans la S-F ou le fantastique "par défaut".

Toujours Lehman: la difficulté de mêler le travail critique et le travail créatif, qu'il trouve plus simple et sain de laisser dans des sphères séparées. Bilal de parler aussi de la difficulté en Europe de voir des écrivains, dessinateurs, passer derrière la caméra. C'est d'autant plus curieux que dans le passé, l'Europe a été riche d'exemples d'intellectuels "total", passant de l'essai au roman, au politique, ... Bilal et Lehman parlent de fracture entre les intellectuels classiques, garants du Mot et les créateurs qui s'offrent une liberté plus importante, font passer des images, la culture scientifique, le travail sur la forme dans les oeuvres. Est-ce que cette rupture vient uniquement du pouvoir (symbolique) tenu par les premiers qui voient le reste comme une aggression ou bien plutôt une frilosité toujours plus importante des vecteurs - dont Immortel serait un rare contre-exemple - ?

15.3.05

Bruit

[...] En musique, le bruit est la signature de l'imprévisibilité, de l'extériorité, de ce qu'on ne peut contrôler. Les instruments les plus "purs" (techniquement, "les moins bruyants") sont également ceux qu'on emploie traditionnellement pour évoquer des sentiments d'innocence, de calme, de rêverie et ainsi de suite. Pensez à la flûte impuissante, au castrat littéralement émasculé. Puis pensez à ceux qu'on utilise toujours pour susciter l'idée que quelque-chose-va-arriver, que quelque-chose-va-entrer-de-l'extérieur - les tambours, les cymbales, les gongs, et les hautes fréquences miroitantes des cordes.

Une histoire de la musique retracerait l'évolution et le triomphe du bruit sur la pureté en musique. La Renaissance recherchait des tons clairs, purs, des voix cohérentes qu'on pouvait empiler. Depuis lors, tout s'est passé en dehors, chaque compositeur après l'autre cherchant des timbres toujours plus âpres et compliqués. A dire vrai, si on mesure le caractère bruyant de l'instrumentation sur une échelle de 100, la palette classique s'arrêterait à 50 environ, mais celle du rock ne commencerait pas avant 30 (et irait ensuite tout droit jusqu'à 90 environ - chiffre qui monte constamment).

Distorsion et complexité sont les sources du bruit. Le rock est construit sur la première: sur l'idée que les choses sont enrichies, et non appauvries, par le bruit. Permettre à quelque chose d'être bruyant, c'est lui permettre de supporter des lectures multiples. C'est une façon de multiplier les résonances.

C'est aussi une façon de "faire échouer le médium" - donnant ainsi l'impression que vous faites exploser le matériau - "je suis trop grand pour lui"

Brian Eno, Journal: Une année aux appendices gonflés - 8/9